C'était avec beaucoup d'émotion que les ChouChouLandais s'étaient tous retrouvés sur la passerelle du puissant et indestructible USS Yggdrasil. Cela faisait de longs mois, presque deux ans, en fait, qu'ils avaient quitté leur confortable et douillet univers d'origine, pour errer dans d'innombrables univers parallèles et souvent hostiles. Contrairement à la plupart des personnes qui se retrouvaient dans cette situation peu agréable, ce n'était pas par hasard. Pire, techniquement, ils auraient pu rentrer chez eux à n'importe quel moment, ce qui était encore plus rare. Mais ils avaient une mission, et ne pouvaient pas l'abandonner. Oh, bien sûr, s'ils avaient un peu moins joué les cons, ils auraient fini bien plus tôt. Mais on est ChouChouLandais, ou on l'est pas, et ils avaient accumulé les gaffes avec une remarquable persévérance. Ce qui expliquait leur enthousiasme à enfin revenir chez eux : ils en avaient fini avec les gaffes !
- Enfin de retour ! s'exclama ChouChouBoy. On va pouvoir reprendre notre vraie mission, maintenant qu'on en a fini avec cette stupide quête secondaire !
- Oui, ajouta Milvus. Nous sommes les élus de la Déesse pour guider cette galaxie ! On ne doit pas l'oublier !
- Ouais, ça veut surtout dire qu'on n'aura pas le droit de glander... grogna la goule.
- Ne sois donc pas rabat-joie comme ça !
- Retour dans l'univers normal dans cinq, quatre, trois, deux, un...
Les ChouChouLandais retinrent leur souffle.
- Zéro !
Le vaisseau sortit du vortex interdimensionnel où il voyageait jusque là, pour glisser sans bruit dans les immensités de l'espace normal.
- Terre, nous voilà !
Cependant, une petite surprise les attendait quand leur chère planète natale apparut sur l'écran principal.
- Heu... Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
- Ne me dites pas qu'on s'est trompé d'univers alternatif.
Leur surprise était compréhensible : lorsqu'ils avaient laissé la Terre, l'espace qui l'entourait était quasiment vide. Une tétrachiée de petits satellites, certes, mais une seule station spatiale primitive et jamais terminée. En effet, malgré l'invasion des Heïnrigens qui avait réglé une fois pour toute la question de l'existence d'intelligences extraterrestres, la Terre était largement resté une planète coupée de la civilisation galactique. Les nombreux gouvernements s'étaient presque tous terrés dans un isolationnisme prudent, refusant le changement. L'ONU avait timidement tenté de participer à des congrès galactiques, sans vraiment que cette conduite soit approuvée. Ils avaient au final dû arrêter par manque de crédits pour leur navette spatiale. L'existence même du ChouChouLand était nié par toutes les organisations officielles, et ceux qui réfutaient cette version y voyaient une énième organisation secrète à la solde des États-Unis ou d'un autre pays encore pire. Bref, parmi la population, seuls quelques acharnés, dont bon nombre de geeks et de fans de SF, avait compris ce qui se passait, cru en l'existence du ChouChouLand, et rejoint les ChouChouLandais dans l'aventure de l'unification galactique.
Pour résumer, la mission des ChouChouLandais, si elle était en très bonne vois pour 95% du Secteur de Sirius, stagnait lamentablement pour tout ce qui touchait à la Terre. Mais apparemment ça avait changé...
Une douzaine de grosses stations spatiales orbitaient autour de la Terre sur diverses orbites, dont trois étaient reliés à des ascenseurs spatiaux arborant fièrement les logos de la société de Satan de Jussieu. Un intense trafic spatial allait dans tous les sens : vers la surface, entre orbite, vers la Lune, les points de Lagrange... Sur la Lune, on distinguait plusieurs colonies avec de grands dômes géodésiques, et plusieurs chantiers spatiaux. Et les détecteurs longue distance permettaient de compter de nombreuses colonies O'Neill aux points L4 et L5.
- Qu'est-ce qui s'est encore passé.
- Heu... On nous appelle... fit Chen Li.
- Sur Écran !
- Vaisseau non identifié ! Vous êtes sortis de l'hyperespace au milieu d'une zone non autorisée ! Veuillez vous identifier, couper vos moteurs et vous préparer à être abordés !
Le contrôleur spatial semblait plutôt furieux, aussi personne ne tenta de le contredire sur le fait que l'USS Yggdrasil avait émergé de bien autre chose que l'hyperespace. Mais cela ne signifiait pas qu'ils allaient se laisser faire.
- Ici l'Amiral Milvus, du vaisseau ChouChouLandais USS Yggdrasil. Je suis désolé de cette stupide erreur, nos cartes spatiales ne doivent pas être...
- C'est ça, et moi je suis le Père Noël ! Stoppez vos moteurs ou nous faisons feu.
Plusieurs vaisseaux d'interception venaient en effet de les prendre en chasse, avec à leur tête un puissant croiseur léger de classe Quercus.
- On fait quoi ?
- Bouclier de classe V à la puissance maximale. Hors de question de se laisser dicter notre conduite par des sous-fifres ignorants.
Le vaisseau continua donc sa course sans dévier le moins du monde, sauf quand même pour éviter les couloirs de navigation et ne pas causer d'accidents. Mais sans obéir le moins du monde aux vaisseaux qui les poursuivaient en leur tirant dessus.
- Ils ne se lassent pas...
Le vaisseau finit par s'installer sur une orbite lunaire qui semblait libre, tandis que les ChouChouLandais essayaient de joindre quelqu'un qu'ils connaissaient, si possible haut placé, pour qu'on leur explique ce qui se passait. Ils étaient aussi en train de scanner les médias locaux qui pouvaient également s'avérer riches en informations.
- Oh putain ! dit Farf.
- Qu'est ce qu'il y a ?
- Apparemment, Scheiger est devenu Président de la Fédération Terrienne.
- La Fédération Terrienne ? C'est quoi ?
- Je sais pas... On dirait que ça a succédé à l'ONU, en tout cas...
- Parfait. On a en confiance en lui, et il est haut placé. C'est notre homme !
Moyennant quelques piratages informatiques qui se révélèrent un jeu d'enfant pour les IA de l'USS Yggdrasil, une communication fut très vite établie avec le QG de la Fédération, situé à New New York, sur la Lune.
- On passe par le subespace, y aura pas de temps de latence, informa Chen Li.
- Parfait.
Scheiger apparut alors sur l'écran, visiblement surpris. Il devait sans doute se demander qui l'appelait sur sa ligne rouge alors qu'un vaisseau non-identifié venait de mettre un chaos sans nom dans le système de défense spatiale. Mais sa surprise disparut bien vite, pour faire place à ce qui était indubitablement de la résignation accablée.
- Vous... J'aurais du m'en douter...
- Bonjour, M. le Président, fit ChouChouBoy.
- Bonjour, M. le Président, répondit Scheiger.
- Y a comme de l'écho...
- Vous savez, continua le Président Scheiger, ça rendrait la vie beaucoup plus facile pour tout le monde si vous ne disparaissiez pas sans prévenir pendant deux ans, pour revenir de la même façon et en foutant un bordel monstre.
- Je suis bien d'accord, mais hélas, on ne choisit pas nos missions ni leurs lieux. Je veux bien tout vous expliquer, mais on a d'abord besoin d'une sérieuse mise à jour sur ce qui s'est passé pendant notre absence. On a aucune idée de ce qui s'est passé depuis notre départ.
- Je vois... Une rencontre me semble une bonne idée pour démêler ce sac de nœud, il est vrai. Je vais informer divers responsables de la Fédération Terrienne et de l'Union de Sirius de votre arrivée. Vous ferez-nous l'honneur de nous rencontrer ici ?
- Mais avec plaisir.
L'USS Yggdrasil changea légèrement d'orbite, puis les ChouChouLandais se téléportèrent dans le hall de l'immense bâtiment servant de siège à la Fédération Terrienne. Il se trouvait lui-même dans une vaste et splendide cité sous dôme flambant neuve. Tout était propre, il y avait des jardins et de la végétation luxuriante un peu partout, et mêmes des oiseaux volants ici et là. Tout ceci faisait très accueillant pour une cité lunaire.
- Par ici les amis ! fit une voix joyeuse.
- Stracciatella-sensei ?
C'était en effet l'excentrique maître en arts martiaux, accompagné comme toujours par son infatigable disciple Leizar. Visiblement, ce dernier n'avait pas été prévenu de ce qui se passait, car il lâcha, en voyant les ChouChouLandais :
- Crotte de cheveu ! Vous ?
- Et oui, c'est nous !
- Maître... Vous me faites encore tourner en bourrique...
Il semblait au bord de la crise de nerf, ce qui montrait que son quotidien n'avait hélas pas changé depuis la dernière fois qu'ils l'avaient vu. Cependant, un deuxième groupe faisait son apparition, composé de Gailin24px, Thoron-sensei, Rincedent et Linacasa.
- Je vous présente les Sénateurs respectifs du BouBoul'Land, des Anneaux de Neuf Brouh-yés, de Sogarn et de Tergulia. Mais je crois que vous les connaissez déjà.
- Heu... Oui. Mais pas avec ces titres.
- Les dernières élections sénatoriales du Secteur de Sirius ont en effet été assez surprenantes.
- Oserai-je demander qui est le Sénateur de la Terre ?
- C'est Satan de Jussieu.
- Je n'aurai pas du demander...
Cependant, la petite troupe fut conduite par Leizar vers une confortable salle de réunion, où tout le monde s'installa confortablement en mangeant des petits gâteaux et en buvant du thé. Puis Stracciatella-sensei commença ses explications.
- Après votre départ, il y eut une fâcheuse période de flottement : le message que vous aviez laissé était tellement flou et cryptique que personne n'a vraiment compris ce qu'il voulait dire.
- On est partis de façon un peu précipité, c'est vrai. Mais Aphraelle avait promis de répondre aux questions que notre message pourrait poser.
- Elle a disparue en même temps que vous. Personne n'a pu la contacter depuis votre disparition.
- Quoi ?
- Alors, du coup, vous comprenez, on a du se débrouiller tous seuls. Et je dois dire que ça a assez bien marché.
- En fait, expliqua Linacasa, vous disparus, les dirigeants de la Terre ont quelque peu paniqués en réalisant qu'il n'y avait plus personne pour les protéger en cas de nouvelle invasion surprise. Du coup, en l'espace de quelques semaines, tout le monde ne parlait plus que d'unifier la Terre pour pouvoir faire partie intégrante de l'Union de Sirius. Avec tous les avantages que cela donne : protection entre alliés, accès à la technologie galactique, flotte spatiale dernier cri payée 50% de sa valeur...
- Des Terriens qui arrêtent de se taper dessus ? J'ai du mal à y croire, fit Calimsha.
- Moi aussi, fit Scheiger. Et pourtant... En l'espace de trois mois, je suis passé de persona non grata à celui de Président de la Fédération, sans que je comprenne comment. Ils me voyaient comme la seule personne capable de dialoguer avec des extra-terrestres, et du coup, ils m'ont quasiment donné les pleins pouvoirs.
- Mais... La Terre est vraiment unifié ?
- En théorie, oui. En pratique, il y a encore des zones de conflit larvé. Si la quasi-totalité des dirigeants a accepté cette unification, ce n'est pas le cas d'un certain nombre de populations. Et je ne parle même pas du casse-tête législatif, judiciaire, administratif, bureaucratique, etc... que constitue la disparition de la centaine de pays terriens. Cela prendra des générations, et ça consommera beaucoup d'énergie, mais c'est définitivement en route.
- C'est très optimiste tout ça...
- Oh, il y a de quoi l'être, quand on voit les problèmes insolubles qui sont en train de disparaître.
- Lesquels ?
- La surpopulation, par exemple. La Terre est une des très rares planètes surpeuplées du Secteur de Sirius. Alors qu'il y a de nombreuses planètes sous-peuplées ou même vides. Les départs des colons sont en plein boum, ce qui explique en partie les ascenseurs orbitaux et l'intense trafic spatial autour de la Terre, le reste étant les activités commerciales ou militaires.
- Où encore la religion, fit Thoron-sensei. L'irruption du culte d'Aphraelle a causé un bordel monstre au début. Il y a eu bien plus de problèmes sur Terre que dans le reste du secteur de Sirius. Toutes ces religions plus diverses les unes que les autres ne savaient plus que faire de leurs dogmes et de leurs principes, maintenant que tout le monde sait à quoi ressemblait un vrai Dieu. Beaucoup de désillusions, vous imaginez. Mais une fois le choc passé, tout le monde s'est mis à revoir de fond en comble les anciennes religions ou à les mélanger entre elles. Personnellement, je pense qu'il n'y en aura bientôt qu'une seule, c'est formidable !
- C'est grotesque ! Je n'y crois pas.
- Et si... Les conflits religieux seront bientôt du passé.
- On doit aussi vous prévenir d'un truc... fit Gailin24px. Je suis pas sûr que vous allez apprécier.
- Vas-y...
- Les élèves de Stracciatella-sensei ont pris un peu trop au sérieux ses galéjades vous appelant des Chevaliers Célestes. Du coup, quand vous avez disparus, ils ont décidé de vous remplacer en s'appelant comme ça, tout du moins les plus doués d'entre eux, ceux qui ont le droit à la technologie de classe V. Mais du coup, ils vous appellent les Fondateurs, et ont fait de vous des héros mythiques. J'ai amené quelques exemples de films, livres, BD, etc... qui sont sortis depuis, et relatant vos aventures.
Les ChouChouLandais piochèrent dans ce qu'avait amené Gailin24px et furent vite atterrés en parcourant rapidement leur contenu.
- C'est n'importe quoi ! s'exclama Milvus. Ça nous décrit comme des héros sans peur et sans reproche, avec une moralité à toute épreuve...
Linacasa explosa de rire, probablement parce qu'elle essayait d'imaginer un Milvus doté d'une « moralité à toute épreuve », mais se reprit bien vite.
- C'est vrai qu'ils ont fait assez fort. La plupart des aventures racontées là-dedans sont imaginaires, et même celles qui sont réelles ont été presque entièrement récrites. Mais je pense pas que vous puissiez y faire grand chose.
- En fait, dit Gailin24px, je pense qu'il faut précisément que vous ne fassiez rien. La légende des Fondateurs est désormais un des piliers du dynamisme du Secteur de Sirius et de la Terre. Il ne vaut mieux pas casser le mythe et vous montrer au monde sous votre vrai jour. Ça pourrait avoir des conséquences catastrophiques. De toute façon, on a plus besoin de vous pour unifier la Galaxie.
- Si ça peut vous rassurer, ajouta Thoron-sensei, vos identités secrètes tiennent toujours. Vous pouvez revenir tranquillement à vos vies de geeks sans histoire.
- Mouais... Charmante perspective...
Sans grande surprise, après ce briefing fort en émotion, les ChouChouLandais furent invités à un petit banquet en leur honneur. La Lune accueillait alors le cinquième Sommet InterSytème sur les Accords de Lyophilisation, ce qui expliquait la présence de bons nombres de sénateurs et autres diplomates et représentants de tous le Secteur de Sirius. Les ChouChouLandais retrouvèrent donc bon nombre de têtes connus, même si certains n'étaient pas très ravis de les voir débarquer comme ça. Il y avait des gens de quasiment toutes les planètes qu'ils avaient visité, des Pongoliens, les wazzapatistes, des profs de Jussieu, divers mercenaires, marchands ou aventuriers. Ils virent aussi Maîtresse Tohsaka et apprirent qu'en leur absence, elle avait pris en main d'abord ChouChou-City puis carrément tout le ChouChouLand.
- Si je comprends bien, même pour gérer ce morceau de la Terre à moitié imaginaire et à moitié réel, on a plus besoin de nous.
- C'est un peu ça...
- C'est quelque peu déprimant, fit Ori.
Et son attention retourna à son assiette et son verre.
- Pu pu puuuu ! On s'en fiche ! Mokona a retrouvé Yûko !
Ce dernier semblait le plus heureux de tous et s'était mis à danser sur la table en jonglant avec des verres pleins sous les applaudissements des convives.
- Je me trompe, ou le banquet final a lieu un peu tôt, cette fois-ci ? dit Calimsha à Milvus.
- Ouais... Je pensais pas que ça se finirait comme ça.
- Je trouve ça louche... Je suis sûr que y a un os quelque part...
Cependant, les seuls os en vue pour le moment étaient dans les assiettes, où ils s'accumulait à une vitesse prodigieuse, démontrant le succès du banquet. Calimsha et le reste des ChouChouLandais, même les plus méfiant, décidèrent donc de profiter du moment présent. C'est-à-dire de se goinfrer et d'arroser le tout.
Le banquet dura un peu plus de deux jours, et il fallu encore quelques heures pour évacuer certains récalcitrants. Puis tout le monde trouva un endroit ou dormir pour récupérer de ces joyeux excès. Ce ne fut que quelques jours plus tard que les ChouChouLandais émergèrent et se mirent à errer dans les rues et le Palais de ChouChou-City en quête de distractions. Aphraelle ne donnait plus signe de vie, et à leur grande surprise, même les appels des Anges Majeurs n'aboutissaient plus qu'à son répondeur.
- C'est curieux... dit Milvus en rangeant son portable dans sa poche. J'aurais pensé qu'elle nous aurait aussitôt filé une nouvelle mission à notre retour, avant même la fin du banquet.
- Tu la connais pas aussi bien que nous... fit Tsunami. Je parie qu'elle a simplement changé de marotte. L'avenir de cette galaxie ne doit plus la préoccuper, c'est tout.
- C'est tout ? Et on devient quoi, nous ?
- Ben... Considère que t'es en chômage technique. Où à la retraite, c'est comme tu sens.
Et sans plus se poser de question, il partit tranquillement vers un Temple pour y draguer les prêtresses en profitant honteusement de son statut. Milvus de son côté, se mit à errer dans le centre ville de ChouChou-City, constatant les nombreux changements que la ville avait vécu pendant leur absence. Un cinéma passait un film au nom étrange de Kreix Zeiger et le château du Moulin Sarde. L'affiche représentait le personnage principal, un étrange mélange entre James Bond, Indiana Jones et un geek typique, en train de combattre un amas de tentacules pour sauver une elfette en danger. De toute évidence, les goûts étranges des ChouChouLandais avaient contaminé les geeks de tout le Secteur de Sirus et le nombre de ces derniers ne faisait en plus qu'augmenter. De quoi se demander quel type d'Empire Galactique on allait obtenir avec une telle base de départ.
Un peu plus loin, il tomba sur un groupe de ChouChouLandais en plein débat fort animé sur la terrasse d'un café.
- Il se passe quoi ? demanda-t-il en s'installant.
- On est train de réfléchir aux cultes qu'on va lancer. Il est temps de se détacher de l'Église d'Aphraelle, maintenant qu'elle nous a laissé tombé.
- J'ai peur de voir ce que ça va donner.
- Je vais lancer l'Église Discordienne des deux Roberts, fit Calimsha.
- Qu'est devenue l'Église de la Couette Dissonnante ?
- C'est Pavel qui s'en charge. Il est en train se réfléchir à comment y intégrer les nekomimis.
- Nous, on s'occupe du Culte du Bernard l'Ermite, ajouta Bip-Bip.
- Et moi de celui du Gecko, ajouta Ori. Ou du Pangolin, je sais pas trop...
- C'est bien ce que je pensais, j'aurais du fuir...
- Qu'est-ce que tu veux, on a rien à foutre. Alors on fait encore plus n'importe quoi que d'habitude.
- Ouais, c'est le cas de le dire.
Les semaines s'écoulèrent ainsi, chaque ChouChouLandais accumulant diverses façons de glander et de tuer le temps de façon toujours plus loufoque. Tout semblait idyllique. Cependant, quelque chose les tracassaient. Une sorte de malaise léger, indéfinissable mais persistant. Comme un petit nuage inoffensif dans le ciel, mais qui persiste à vouloir cacher le soleil. Au début, ils ne s'en rendaient même pas compte, naïfs qu'ils s'étaient. Mais l'horrible vérité s'imposa lentement, sournoisement mais sûrement. Pavel, Ori et Calimsha s'étaient réunis dans un coin de ChouChouCity, dans un des bars de T-Citron, pour en parler.
- Vous êtes tous d'accord avec moi, n'est ce pas ?
- Oui.
- Il faut se rendre à l'évidence... On est pas aussi glandeurs que l'on ne pensait.
- On n'aime glander que quand on est censé faire autre chose.
- Glander quand on a le droit, quand on a que ça à faire...
- C'est pas rigolo du tout.
- On s'emmerde grave...
- Il fait trouver une solution.
Les trois ChouChouLandais se mirent alors à réfléchir en fixant leur verre, ne bougeant pas d'un centimètre pendant plusieurs heures. À tel point que T-Citron vint les voir pour comprendre ce qui se passait.
- Ho, qu'est-ce que vous faites à prendre la poussière ? Vous allez faire peur à mes clients si vous continuez.
- Ben... On cherche une solution... On en a marre de glander.
- Z'avez encore mélangé la mauvaise moquette avec le mauvais cocktail, vous trois.
- Je pense pas. Même toi tu as du t'en rendre compte.
T-Citron changea de tête, soupira, et s'assit à leur côté.
- C'est vrai que y a de moins en moins de bagarre dans mon bar. Comme si les gens s'ennuyaient. Je comprends pas trop...
Au même moment arrivèrent Milvus, Farf et Hébus qui revenaient de toute évidence d'une séance d'holodeck puis qu'ils étaient en sailor-fuku. Ce n'était pas étonnant du premier qui était un Ange Majeur, pas trop non plus du second, mais bien plus du troisième. Son air furieux semblait indiquer que ce cosplay avait été fait contre son gré.
- Vous me le payerez, dit-il en mettant ses lunettes noires. I'll be back !
- Lunar no Papa... murmura tout bas Pavel.
- N'est ce pas ? dit Milvus, qui tentait sans succès de ne pas être plié en deux de rire.
Et le troll s'en alla tandis que Milvus et Farf s'installait eux aussi avec les autres.
- Bon, en voilà au moins deux qui s'amusent...
- Bof... Piéger le troll, ça fera que le 576eme fois qu'on le fait. On s'emmerde un peu nous aussi.
- Mouais... C'est vraiment pas normal.
- On est peut-être malades ? Contaminé par un microbe mutant louche ? suggéra Calimsha. C'est quand même pas normal qu'on s'emmerde à glander comme ça.
- Ce serait le bouquet !
- Il n'y a qu'un seul moyen de le savoir, dit Milvus. Suivez-moi.
Ils firent donc ce qu'on leur disait, et s'entassèrent dans un ascenseur qui plongea aussitôt vers les profondeurs de ChouChouCity.
- On va où comme ça ?
- À ton avis ? Si on continue à descendre...
En effet, l'ascenseur ne semblait pas vouloir ralentir, et les niveaux passaient en fait de plus en plus vite, jusqu'à ce que l'ascenseur émerge brutalement à la lumière.
- Le Geofront ! fit Ori.
- Ça faisait longtemps, dit T-Citron. J'avais presque oublié son existence...
- Tu m'étonnes, avec tout ce qu'on a amassé en bric-à-brac, pendant toutes ces années au ChouChouLand.
Ils rejoignirent le Central Dogma, haut lieu de manigances louches de certains ChouChouLandais tel que le Troll, l'Ewok et l'Amiral. C'était d'ailleurs la première fois que bon nombre des personnes présentes entraient dans ce lieu hautement secret. Du coup, ils se demandaient ce qui motivait Milvus pour jeter ainsi aux orties les politiques paranoïaques et conspiratrices de la NERV, de la SEELE et du MAEQBP. En même temps, l'état général des lieux montrait qu'ils n'avaient pas servis à conspirer contre son con-citoyen depuis fort longtemps. La mode était en effet désormais aux bastons improvisés et aux farces stupides, et plus au complots et aux organisations secrètes planifiant tout sur des années.
- Voilà le super ordinateur Maggi™, composé de trois sous-unités de clusters : Baltard, Gaston et Meteor. Il peut répondre à toutes nos questions.
- Autodestruction dans 42 secondes... Autodestruction dans 42 secondes... Autodestruction dans 42 secondes...
- C'est normal, ça ?
- Plus ou moins, Pavel. Il a juste planté. Je reboote et c'est bon.
- Ça marche sous quel système ? demanda Ori.
- C'est un duo de BeOs et de ReactOS virtualisés sur Linux Source Mage, lui-même virtualisé sur Plan 9. Y a pas plus stable et plus performant.
- Si tu le dis...
- Bon, qui est volontaire pour servir de cobaye à Maggi™ ?
Tout le monde se mit à siffler en regardant ailleurs, et Milvus entra alors une commande sur pour en choisir un au hasard.
- Calim !
- Comme par hasard...
- Pas de ma faute si tu es un point focal de weirdness de la balance cosmique.
- On le saura. Te plains pas si je fais tout planter. Je suis pas représentatif, quoi.
- Détends-toi, personne ne l'est ici.
Calimsha se mit donc sous les senseurs du super ordinateur, qui émit une série de sons étranges, typiquement informatiques, mais avec une étrange diversité historique. On aurait dit que Maggi™ n'avait pas vraiment décidé à quelle époque de l'informatique il appartenait. Après un long moment, il finit par rendre son rapport juste avant de planter lamentablement. Milvus le récupéra, en lut quelques lignes, puis dit, avec un air de docteur s'apprêtant çà annoncer une longue maladie :
- Mmm Mmm... Venez dans mon bureau.
Tout le monde se déplaça donc dans la grande pièce qui lui servait autrefois pour son poste de directeur de la NERV. En entrant, ils découvrirent un mélange incongru de bureau de détective, de labo de savant fou et de bureau d'officier de Starfleet. De nombreux souvenirs semblaient avoir été posé au petit bonheur la chance : des ascaris suceurs d'esprits dans des bocaux d'alcool, des affiches « Wanted » avec les visages de Schrödinger, Camille de Folvert ou *Wazapatta, des maquettes de l'USS Chouchou et de l'USS Lellig, des livres de diverses cuisines galactiques...
- Les résultats sont clairs, mais pas très réjouissants.
- Comme par hasard. On est atteints de quoi ?
- La retraite.
- ??
- On est des retraités. Comme tout retraité, on subit la routine tous les jours, et elle nous tue à petit feu. Dans les maisons de retraites modernes et hors de prix, ils se gardent bien de rendre la vie trop confortable : ils provoquent volontairement des petites contrariétés aux pensionnaires. Comme ça ils ne s'ennuient pas.
- C'est débile ! s'exclama Farf.
- C'est humain. Il nous faut des problèmes. On est habitué à avoir des responsabilités écrasantes et des merdes cosmiques qui surgissent sans prévenir. Maintenant qu'on est privés des deux, on dépérit.
Ce fut alors T-Citron qui explosa :
- Mais on revient au point de départ ! On l'avait bien compris qu'on s'emmerdait parce que tout était trop calme. Pas la peine de sortir le super-ordinateur et les théories fumeuses de psy ! On fait quoi, concrètement ?
- Ben, on a tout : femmes, argent, pouvoir, magie, technologie... fit Ori. On devrait bien arriver à acheter des emmerdes.
- Pas si facile...
- Les emmerdes, ça n'a pas de prix, dit Pavel. Pour tout le reste, il y a Eurocard Mastercard.
- C'est fini les jeux de mots vaseux ?
Les ChouChouLandais réfléchirent ainsi toute la nuit. Enfin, quand je dis réfléchir, il faut bien comprendre que c'était à leur façon, mononeuronale. Il n'était donc pas très étonnant de constater le lendemain matin que rien n'avait avancé. Tout au plus quelqu'un avait suggéré de chercher une planète intéressante ou foutre le bazar, mais il n'était pas certain que les nouveaux responsables de la Galaxie les laissent faire. Ils remontèrent à la surface, et virent que Mokona était en train de survoler la ville avec son NSX, puputant de plus belle. Calismha ne put s'empêcher de faire un commentaire.
- En voilà au moins un qui s'amuse... On le tient plus, depuis qu'il a retrouvé son vaisseau.
- La rumeur dit qu'il a signé un accord commercial avec Phoenix-co pour l'exclusivité de distribution des magasines de cul au ChouChouLand, expliqua Ori. Tohsaka était furieuse que le marché lui soit passé sous le nez.
- J'imagine très bien le bazar...
- Ouais... Tout le monde s'amuse et prospère, sauf nous... J'en ai marre !
Et la goule shoota violemment dans une poubelle, faisant cracher un vieux matou qui y avait élu domicile. Par-dessus le marché, il se mit à pleuvoir.
- Et voilà, manquait plus que la pluie.
- C'est pas de la pluie, fit T-Citron. Il pleut jamais au ChouChouLand. C'est juste un peu d'humidité vivifiante.
- Si tu le dis...
- Je pense qu'il faut repartir dans l'espace s'occuper de l'Unification, dit Pavel. Ils ont beau dire ce qu'ils veulent, c'est notre mission. Si on ne s'en occupe pas, on va dépérir.
- Et les mythes bizarres qui circulent sur nous ?
- Franchement, si avec toutes les conneries qu'on a déjà faite, on est vus comme des héros irréprochables, je doute que de nouvelles conneries changent quoique ce soit. Au pire on se crée de nouvelles identités.
- Mouais... T'as probablement raison, ce qui me fait un peu peur...
- Comment on peut les convaincre ?
- Pas de problèmes. On s'installe et puis c'est tout !
- Marchera jamais...
- J'ai une idée là dessus... dit Milvus. Et ça résoudrait un vieux problème.
- Laquelle ?
- Si le QG de la Fédération est sur la lune a été construit pendant notre absence, ce n'est pas le cas du lieu le plus important du Secteur de Sirius. Je parle du complexe diplomatique d'Alpha du Centaure, qui lui sert de capitale. Et lui, on la entièrement conçu. Il sera très facile de nous en emparer. Suivez-moi.
Et ils se dirigèrent vers le QG de l'Amirauté, situé non loin de là, pour mettre au point les détails du plan, qui, comme vous allez le voir, était scandaleusement grotesque, mais génialement efficace. Vous aurez aussi noté que les idées avaient fusé au sein des ChouChouLandais dès qu'ils avaient cessé de réfléchir. Comme quoi...
Maniant sa machette avec dextérité, Kettch avançait dans la jungle. Trop lentement à son goût, mais ce n'était guère de sa faute. Cette jungle était censée être impénétrable, et c'était déjà un bel exploit d'y être. Mais il n'avait pas de temps à perdre sur ce genre de détail, sa mission était prioritaire. Aussi fut-il assez content quand il constata, sur le petit appareil qu'il avait à la ceinture, qu'il était arrivé au point recherché. Il se créa une petite clairière de quelques mètres, puis posa son sac à dos à terre.
- Bon, c'est pas tout... Faut installer tout ce matos.
Quelques dizaines de kilomètres plus à l'Ouest, Bip-bip était en train de crapahuter sur une montagne désolée, ou elle ne croisait guère que des tribus de chèvres sauvages assez stupéfiées de voir un être humain sur leur domaine. Franchissant un col, elle constata rapidement que sa destination était une sorte de plateau difficile d'accès.
- Comme par hasard.
Et elle activa ses pouvoirs de Bip-bip pour défier la gravité et arriver sur le plateau.
Encore quelques kilomètres plus loin, mais plus au Sud, Milvus était en train de se frayer un chemin dans les zones dangereuses situées derrière le château du Marsupilami Noir. Au cours des années, bon nombre des créatures censées le garder était retournée à l'état sauvage. Même celles qui ne l'avait jamais connu, cet état sauvage. Du coup même lui n'était pas en sécurité, et il ne cessait de surveiller les alentours tandis qu'il installait l'espèce de mat télescopique en Mithril qu'il avait trimballé.
- Qu'est-ce qu'il faut pas faire pour éviter de s'emmerder...
Encore plus au Sud, les montagnes cédaient la place à une forêt dense, mais bien plus accueillante que la Jungle du Nord. C'était Chen Li qui s'y trouvait, transportant elle aussi toute la ribambelle d'instruments de technomagie nécessaires à l'opération. Elle avait quitté sa « cabane » (en fait sa très luxueuse maison de campagne perdue au milieu de nulle part) à l'aube, aussi avait-elle faim quand elle arriva au bon endroit. Elle attaqua donc son repas, constitué de boulettes d’Avène, avant d'installer le tout.
Je me demande quand même pourquoi les oiseaux arrêtent de chanter quand je sors mon fromage...
Entre la forêt et la mer, se trouvait une immense étendue de sable, connue sous le nom de Dunes de Vash. C'était un endroit assez étrange, et la rumeur disait que des villes entières avec leur population apparaissaient et disparaissaient au rythme du déplacement des dunes. Au milieu de cette immensité couleur d'or, une petite créature blanche sautillait joyeusement en fredonnant :
- Pupupu, pu pupu pupu !
Arrivé au bon endroit, Mokona fit sortir par sa bouche tout le fatras étrange qu'on lui avait confié et à le monter en suivant les instructions. C'est Milvus lui même qui les avaient écrites, traduisant en langage compréhensible les élucubrations de Calimsha. Impossible de se tromper.
Un des plus importants centres touristiques du ChouChouLand était sa grande station balnéaire, ChouChou-Beach. Confortablement installé sur un transat, sous un parasol, entouré d'un véritable harem d'elfettes, la goule sirotait un cocktail. Il admirait avec fierté le résultat de son travail qui trônait sur la plage. Il devait être un des premiers à avoir fini le montage de ce délicat relais technomagique.
- J'ai rarement connu une mission aussi agréable.
Mais il se trompait. Un peu plus à l'Ouest, à Komugi Beach, au sein de Couette-Land, Pavel avait lui aussi déjà fini de monter son relais. Du coup, il était en train de jouer à Guitar Hero avec plusieurs lolicouettes.
- Mugi mugi ! Encore gagné une place au classement !
Si on remontait un peu plus au Nord, on tombait ensuite sur les ruines de CoinCoin-City, en cours de réhabilitation par Farf. Seulement les travaux s'étaient arrêtés pendant leur longue absence dans les mondes parallèles, et du coup, tout était encore plus en ruine... Il allait sûrement falloir tout raser et reprendre à zéro. Farf avait installé son relais au milieu de la Place du Capitole.
- Oh putain cong ! Ça donne soif tout ça !
Isolé au mileu de nulle part, Tsunami avaient hérité de la mission dans l'endroit le plus terrible du pays : ce qui restait du Pov'Gars Land. L'endroit était désert à l'exception de légions de chats sauvages, les distances s'étiraient à l'infini malgré la petite taille du territoire, et surtout, il y régnait une ambiance étrange à rendre dépressif n'importe qui, même Fuura Kafuka. Du coup, ce fut un vrai miracle qu'il arrive au bon endroit pour accomplir sa mission.
- Bon. J'en ai fini. Enfin !
Et il tomba.
Cependant, tout au Nord, au milieu du Lac du Copépode, sur une petite barque, un Troll était en train de pester.
- Gottferdom ! Sur tous les endroits possibles du pays, il a fallu que je tombe sur celui avec le plus d'eau. C'est un complot ma parole !
Enfin, il arriva sur une minuscule île où il y avait à peine la place pour lui et le relais. Surtout qu'il fallait le monter sur place. Ce serait un miracle s'il ne tombait pas à l'eau pendant tout ce montage à la noix...
Cependant, tous les ChouChouLandais n'avaient pas été envoyés en mission à la périphérie du pays. Certains avaient été placés dans diverses localités au sein du pays, comme par exemple T-Citron qui s'était perdu dans les champs de moquette aux alentours du pittoresque village de Moquette-en-Plaine. Il avait été attaqué par une horde de paysans armés de fourches, qui l'avaient pris pour un voleur de moquette. Après avoir essayé de parlementer sans succès, il les avait tout simplement endormis en les bombardant de thé à la camomille. Il avait enfin pu être tranquille pour s'installer au milieu d'un champ et monter son relais.
Soso lui aussi savourait les joies de la campagne en étant au milieu des Plaines Fertiles, très loin de toute habitation.
- Putain mais je suis où ?
Autour de lui, il n'y avait que des champs de moquette à perte de vue, se ressemblant tous comme deux gouttes d'eau. Il ne pouvait donc que se fier à son petit localisateur, mais même lui semblait perturbé par l'uniformité de ce plat pays. Ce fut un miracle qu'il soit arrivé à temps au bon endroit pour monter son relais.
Jonas, bien qu'il ne soit encore guère qu'un auto-stoppeur interdimensionnel, avait aussi été recruté pour cette mission indispensable. Il faut dire qu'on manquait de bras avec la disparition mystérieuse de certains ChouChouLandais. Il avait donc été envoyé au mythique Gouffre de Help, et devait y installer son relais dans le souterrain le plus profond. Ce qui impliquait d'occire moult gobelins, balrogs et autres liches levées du mauvais pied. Une vraie balade de santé, quoi.
- Je savais bien que je m'emmerderai pas en suivant ces cinglés !
ChouChouBoy, lui, en revanche, était dans un lieu bien plus accueillant, puisqu'il n'avait même pas eu à quitter son Palais pour planter son étrange relais. En fait, pour lui, le plus compliqué fut de faire cela dans le plus grand secret. Aucun néo-silencieux ou autre être sentient ne devait être au courant. Il avait donc fini par le monter dans un placard discret, caché au fond d'un couloir désert. Conchita la femme de ménage avait quand même réussi à débarquer en cherchant son balai, et il avait dû la paralyser. Elle allait refuser de nettoyer son bureau présidentiel pendant des mois...
L'emplacement du dernier relais, enfin, était le plus important, puisque situé au centre technomagique exact du pays, à Villefranche sur Dyss. Calismha était bien sûr particulièrement à l'aise dans cette cité dédié au culte de Chtulhu. Les habitants faisaient la sieste comme à l'habitude, aussi personne ne le gêna pour monter son relais géant, trois fois plus grand que les autres, juste à côté du terrain de pétanque.
- Tout le monde est en place ? demanda-t-il dans son communicateur.
Un concert de confirmation positives lui répondit, aussi répondit-il tout de suite :
- OK, on enclenche le compte à rebours à -30 secondes. Préparez vos incantations.
Au même moment, à 4,224 années-lumière de là, sur Alpha du Centaure, les relevés aberrants se multipliait dans le PC de sécurité du complexe diplomatique.
- Important flux de technomayons dans le secteur BZ-67 !
- Inconcevable ! Une faille dimensionnelle ?
- Intrusion dans nos systèmes informatiques ! Les firewalls sont contournés.
- Bloquez-moi tout ça !
- Ça ne marche pas. Oh, par la Déesse !
- Quoi ?
- Des sous-systèmes inconnus viennent de s'autoactiver ! C'est un backdoor !
Le chef du PC s'effondra alors dans son fauteuil, n'arrivant pas encore à croire que la situation était en train de leur échapper en si peu de temps. Puis, par les immenses baies vitrées du PC, ils virent un énorme pilier de lumière bleutée, loin à l'horizon. Là où se trouvait le fameux secteur BZ-67.
- Mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
Tous les appareils étaient saturés, plus aucune commande ne répondait, et toute la petite équipe ne pouvait que contempler sans rien pouvoir faire, tandis qu'un large territoire du continent était en train de changer radicalement de morphologie.
- Heu... Chef, j'ai un message étrange sur ma console...
- C'est-à-dire ? demanda-t-il sèchement, agacé par le manque de sang froid de son subordonné, et encore plus par le sien.
- Ne vous inquiétez pas. Tout est normal. Des explications vont bientôt arriver. Et c'est signé « Les Fondateurs ».
- C'est une plaisanterie.
- Hélas non...
Et ils en eurent la confirmation quelques minutes plus tard quand une demi-douzaine de ChouChouLandais se matérialisèrent dans la salle de contrôle.
- Nous reprenons le contrôle de ce Complexe Diplomatique. Nous sommes de retour.
- Les rumeurs étaient donc vrai, fit le chef, médusé.
Tout s'était donc passé exactement comme il était prévu dans le plan. Le ChouChouLand avait été transporté dans son intégralité depuis le lieu étrange et caché où il se trouvait (et ne se trouvait pas) sur Terre, vers un lieu beaucoup plus ordinaire et visible sur Alpha du Centaure. La surprise avait été totale aussi bien pour les habitants du ChouChouLand que d'Alpha du Centaure, aussi les ChouChouLandais furent vite assaillis par diverses personnes en quête d'explications.
- Le fait que le ChouChouLand soit un territoire à moitié imaginaire et à moitié réel a toujours posé des problèmes de stabilité sur le long terme, expliquait Milvus. Donc en le téléportant ici, on l'a rendu réel à 100%. Plus de problème. Et cette instabilité a de plus facilité grandement le transfert technomagique. Il a fallu bien moins d'énergie pour le téléporter ici que s'il avait fallu téléporter un territoire normal.
- Donc c'est un transfert à sens unique ? demanda Tohsaka.
- Exactement.
Tohsaka était sans aucun doute la personne la plus furieuse de la petite surprise que les ChouChouLandais avaient concocté. On ne lui avait pas demandé son avis, et ses entreprises dépendaient grandement des touristes venant du reste de la Terre, de la Lune ou du Secteur de Sirius. Elle redoutait donc avec légitimité une forte baisse de son chiffre d'affaire.
- Ne t'inquiète pas comme ça. Alpha du Centaure va devenir la capitale fédérale du Secteur. La transition sera peut-être un peu difficile, mais après, les touristes vont revenir en masse... Alpha DC est un emplacement d'avenir !
- Mouais...
Au début, elle avait exigé que les ChouChouLandais inversent le transfert, mais elle avait dû se résigner en voyant les preuves qu'ils ne mentaient pas : revenir sur Terre était quasiment impossible. Si ça avait été catégoriquement impossible, on aurait pu essayer. Mais puisque c'était quasiment impossible, ce n'était pas la peine. Telle était la logique tordue de la technomagie.
Il y avait cependant eut une autre conséquence secondaire imprévue à ce transfert. Une nouvelle île inconnue était apparu dans un coin tranquille de l'océan au large du continent principal. Bizarrement, elle rappelait quelque chose à la goule.
- Ça ressemble quand même énormément au Massif de la Chartreuse.
Ils allèrent donc l'examiner sur place, tout en communiquant avec Scheiger sur Terre par un canal subspatial. Et ils durent se rendre à l'évidence. Une copie conforme du Massif de la Chartreuse avait été créé là, avec toutes ces montagnes, ces rivières, ces forêts, ces animaux, ces villages, mais sans ses habitants. Il y avait même sa maison de campagne. Seule différence de taille : le niveau de la mer était 1000 m plus haut, ce qui transformait le massif en une île à la forme très découpée. Saint-Pierre-d'Entremont se retrouvait englouti par 340 mètres de profondeur.
- Je baptise cet endroit l'île du Chaos, proclama Ori.
Dix ans avaient passé. La Fédération Terriene prospérait et Alpha DC était devenu une planète extrêmement active, en plein boom économique. Le ChouChouLand était cependant resté un havre de paix, bien gardé par ces habitants, malgré les nombreux touristes qui le visitaient, en particulier du côté du Quartier Rouge de la capitale. Les ChouChouLandais, eux, ou plutôt, les Fondateurs, étaient devenus des piliers discrets de la diplomatie dans ce secteur de la Galaxie. Toujours en retrait, sans aucun pouvoir réel, seuls les dirigeants des diverses planètes du Secteur savaient qu'ils étaient de retour. C'était le compromis qui s'était imposé après la translocation-délocalisation du ChouChouLand. Ils n'en influençaient pas moins fortement l'histoire. Aucune Déesse ni Dieu n'avait refait parlé d'elle oui de lui, et leur existence devenait plus mythique que concrète. Ce qui curieusement, n'empêchait pas les gens de faire comme si cette existence était réelle. Tout allait bien et personne ne savait vraiment pourquoi.
- Quel est l'ordre du jour ? demanda Pavel à son assistant.
- Les Sylvernoriens réclament une régulation des prix de la viande de Krapouteux Nains pour limiter la spéculation. Mais la plupart des autres planètes refusent.
Ce dernier se nommait Nya Nekomiya et était le neveu de Leizar. Il sautillait autour de Pavel pour montrer sa petite jupe qu'il venait de s'acheter, en rendant nerveux la moitié des gens qui le croisait. Vous l'aurez compris, c'était un trap.
- Je sens que ça va être long.
Le complexe diplomatique de Alpha du Centaure avait été reconstruit de nombreuses fois au cours de ces dix dernières années, tant les débats pouvaient parfois être agités. Mais il était hors de question de réunir les nombreuses délégations de Sirius ailleurs qu'ici, tant les lieux étaient chargés de symboles.
- Courage, courage, fit Milvus. Avec un peu de chance, y aura un stand dégustation.
Il n'avait pas changé d'un poil en dix ans, grâce à son immortalité. En revanche, il était accompagné de Linacasa, juchée sur son épaule, et qui semblait avoir dix ans de moins qu'il y a dix ans. Pavel s'était juré de découvrir par quel élixir elle était arrivée à ce résultat, mais sans succès hélas. Il soupçonnait une rencontre avec Maya Natsume...
S'armant de courage, ils entrèrent tous les quatre dans le Grand Hémicycle ou les débats faisaient déjà rage bien que la séance ne commence officiellement que dans 10 minutes.
- Ah oui, en effet, ils ont amenés des échantillons pour la dégustation...
Ils esquivèrent un rôti de Krapouteux nains qui volait dans leur direction, et essayèrent de prendre les choses en mains.
- Un peu de silence, s'il vous plaît.
Le bruit et les échanges de projectiles divers doublèrent alors d'intensité, à leur grande frustration. Rien n'était plus puissant que l'entropie d'un débat politique.
- Ils gâchent de la nourriture. C'est un crime !
- Ça va pas aider à faire baisser les cours, si toute la viande finit sur les murs de cette salle...
Les débats politiques sur Alpha DC avaient toutefois une différence fondamentale avec ceux se déroulant ailleurs, par exemple sur Sartinos : il n'y avait qu'une seule race d'être sentient, avec la même physiologie. Ce qui avait des avantages, pour les représailles.
- Envoyez les sons calmants n°5, fit Pavel en se mettant des boules quiès dans les oreilles.
Le son strident et insupportable d'une craie crissant contre un tableau noir se fit alors entendre à un volume fort déraisonnable, et les débats se calmèrent aussitôt. Certains diplomates tombèrent de leur fauteuil et l'un d'entre-eux réussit même à vomir.
- Mesdames, Messieurs, je vois que vous êtes plus raisonnables. Nous allons pouvoir passer à l'ordre du jour.
Le reste des débats se passa à peu près bien, puisqu'on ne compta qu'un seul mort à la fin de la séance, qui fut bien sûr promptement ressuscité dans l'aile médicale. Les deux ChouChouLandais était donc quelque peu satisfaits en quittant le bâtiment.
- On progresse, on progresse...
- Au moins, on a fini à l'heure. On va pas rater le banquet du soir comme hier.
- Ouais. Ha, voilà Ori et Farf. Alors, comment ça va, la chasse aux elfettes ?
- Couci-couça, elles se cachent de plus en plus.
- Forcément, elle savent que vous êtes dans le coin, fit Linacasa, toujours perchée sur l'épaule de Milvus.
- Je ne perds pas espoir. On va bientôt recevoir de nouveaux détecteurs, et ils intégrent...
Cependant, un petit attroupement s'était cependant formé devant un tableau d'affichage, et ils allèrent voir ce qui en était la cause.
- Ah, c'est la nouvelle affiche de recrutement pour la flotte...
- Encore l'ewok avec sa boule de bowling ?
- Que veux-tu, c'est une valeur sûre. C'est ce genre d'affiche qui donne les meilleurs taux de retour aux bureaux de recrutement.
- Qu'est-ce qu'il faut pas faire...
Le petit groupe arriva ensuite devant le bâtiment où devait se dérouler le banquet du jour et ils y entrèrent sans se presser. Le nombre de restaurants, de bars, de saloons, de tavernes, d'auberges, de salons de thé, etc... du complexe diplomatique était incalculable, mais pour les banquets gigantesques, il n'y avait rien de mieux que le Pavillon de la Renarde.
- Tout se passe bien ? demanda Milvus en voyant Calimsha passer l'air contrarié.
- Le piaf squatte les cuisines pour faire des melon-pans. Il va nous mettre en retard !
- Encore ? Mais il y a plein de cuisines sur cette planète ! Il peut pas en choisir une qui soit vide ?
- Va le lui dire...
- Ha, mais c'est ce que je vais faire !
La petite troupe suivit alors Calimsha dans les immenses cuisines du pavillon, où effectivement, Phoenix-co dans son tablier rose était en train de faire des melon-pan géants.
- Qu'est-ce que tu fous ici ? Tu peux pas les faire chez toi ?
- Ben non, avec cette recette, c'est meilleur quand ça sort direct du four. Donc je suis obligé de les faire ici.
- Hein ?
- Oui, ils sont pour les diplomates qui vont manger ici ce soir. Donc je le fais ici.
- Un accès soudain de générosité ? Tu es malade ?
- Non, ce sont des échantillons gratuits. Je compte bien décrocher le monopole de la vente de melon-pans pour le Secteur de Sirius.
- ...
- On fait quoi ? On l'éjecte ? demanda Ori.
- Je crois qu'il vaut mieux se résigner à sa présence. Mieux vaut un banquet en retard qu'une baston qui détruit tout sur son passage.
- Vu comme ça...
Le banquet commença donc avec deux heures de retard, mais personne ne s'en aperçut, grâce à la distribution fort judicieuse de moult boissons alcoolisées (ou pire). Avec seulement douze plats et 500 boissons, c'était un banquet assez simple et rapide, du genre à laisser sur la fin quelques convives, ceux réputés pour leur appétit. Et justement...
- Déjà fini ? Gottferdom ! J'ai encore faim !
- Un de ces jours, faudra quand même que j'essaie de découvrir comment les trolls font pour pouvoir manger autant.
- Comment ? On veut me découper au scalpel ? Président de pacotille !
- Répète un peu ?
Le Troll sortit sa massue, le président fuma par les oreilles tout en activant son regard lumineux, mais après avoir tenté de faire quelque pas l'un vers l'autre, ils titubèrent et tombèrent l'un contre l'autre.
- Mais lâche moi, sale troll !
- Non, c'est toi qui doit me lâcher !
- Non, c'est toi !
- Non, c'est toi !
- Vous avez pas fini, à ce train là... remarqua Milvus, tout en chouravant deux bouteilles encore miraculeusement à moitié pleines.
- Ouais, acceptez la réalité. On est tous trop bourrés pour se battre sérieusement, ajouta Farf.
- Mais euh...
- Ouais, je crois qu'on ferait bien d'aller dormir... fit Ori. La journée a été dure.
- C'est pas des elfettes, là bas ?
- Où ça, où ça ?
Tel un Gundam se préparant au combat; Ori eut les yeux qui s'allumèrent brièvement à la vue des elfettes, avant de leur donner la chasse, oubliant d'un coup toute fatigue. Milvus, lui, se tordait de rire devant le succès de sa blague.
- Ça marche à tous les coups...
- Il est parti sans même vérifier, le con.
- Bof, avec un peu de chance, il va peut être réellement trouver des elfettes.
Laissant la goule à ses activités nocturnes habituelles, ils se rendirent à la station de téléportation pour revenir à ChouChouCity. Les ChouChouLandais s'y étaient définitivement installés et ne revenaient sur Terre qu'épisodiquement. Quant à vadrouiller dans la galaxie avec l'USS Yggdrasil, ils en avaient franchement eu leur claque après leur longue errance dans les mondes parallèles. Du coup, le fier vaisseau restaient sagement en orbite et ne servait que de temps en temps pour une réception ou une fiesta. Et en plus, il avait été rebaptisé et déguisé pour garder le secret du retour des ChouChouLandais.
En quelques secondes, ils se retrouvèrent sur la grande Piazza, en plein centre ville, entre le Palais Présidentiel et la Grande Église Aphraellite. Cette dernière ne désemplissait pas, malgré l'heure tardive et le fait que la Déesse avait disparue.
- Regardez-moi ces couillons ! fit Calimsha en ricanant.
- Ho, tu peux parler. Et ta Eris alors ? répondit Tsunami
- De quoi ? Ne mélange pas le chaos avec ton église de...
- Calmez-vous, calmez-vous, les interrompit Milvus. Toutes les religions peuvent cohabiter en harmonie ! Vous le savez bien !
- C'est ça. Et demain les poules auront des dents !
Depuis quelque temps, les anciennes religions, qui avaient disparus avec l'apparition du culte d'Aphraelle sur Terre, revenaient en force. En général, c'était sous une forme grandement modifiée, qui serait apparu comme totalement grotesque auparavant. Certaines n'avaient guère gardé que leur nom. Et pire, de nouvelles religions toutes plus étranges les unes que les autres apparaissaient chaque jour. Le discordianisme était bien la seule religion a être sortie indemne de cette épidémie de weirdness dans le monde de la spiritualité. Probablement parce qu'elle en avait été le précurseur...
- J'ai déjà répété ça cent fois, continuait Milvus. Il faut être tolérant et ne plus faire de prosélytisme agressif. La cohabitation doit devenir la règle, et tout le monde sera content.
- Un jour, faudra que tu te débarrasses de ton, optimisme, Mimil...
- Jamais, Calimsha !
- Pupupuuuu ! Mon Milvus est très bien comme ça !
- Quoique, parfois je me dis que je sais pas comment je fais pour ne pas craquer...
- Pu pu ?
Malgré ces nombreuses digressions et distractions sur le chemin du retour, les ChouChouLandais réussirent tous à rentrer dans leurs diverses demeures de ChouChouCity. Ces dernières étaient toutes, vous vous en doutez, plus loufoques les unes que les autres dans leur architecture. Après un sommeil bien mérité de quelques jours, ils furent donc tous réveillés et de bonne humeur pour une nouvelle journée de travail dynamique.
Non, je déconne, ils se levèrent avec la tête dans le cul pour aller au travail en rouspétant, alors qu'ils avaient remué ciel et terre (littéralement !) pour avoir le droit de faire ce fichu travail de bureaucrates et de diplomates de l'ombre. Chaque jour était plus ou moins identique au précédent : ils empêchaient les diplomates de s'entretuer, ils glandaient, ils mangeaient, ils buvaient, ils faisaient la fête etc... Ils surveillaient aussi discrètement l'émergence de l'étrange société des Chevaliers Célestes, qui les avaient officiellement remplacés aux yeux de tous. Non pas qu'ils arrivent à les influencer réellement, mais ils pouvaient au moins éviter les aberrations les plus graves et les plus étranges... Bref, une confortable routine qui mit des années à disparaître progressivement. Ce serait assez chiant de vous raconter tout ça en détail. Alors, passons directement à ce qui se passe quelques dizaines d'années plus tard.
Avec un habituel mais spectaculaire vortex de lumière, l'HSS Čerenkov, le plus récent des Croiseurs d'Exploration de l'Empire, glissa hors de l'hyperespace et commença à scanner le système stellaire à la recherche d'anomalies spatiales. Sur la passerelle, l'équipage opérait avec son efficacité habituelle, effectuant mille et une tâches avec une parfaite fluidité.
- Aucune anomalie à signaler, Amiral.
- Et pourtant il doit être là... Faites un appel de balises standard.
- À vos ordres.
Toutes les balises du vaisseau se mirent à émettre leur signal en clignotant, ce qui l'aurait transformé en sapin de Noël si les ondes radios ou subspatiales étaient visibles.
- Signaux envoyés, Amiral.
- Bien, ils ne nous reste plus qu'à attendre.
Mais ils n'eurent pas à le faire très longtemps. Moins de cinq minutes plus tard, un grand vaisseau sans aucun marquages (ce qui était une violation flagrante d'une centaine de lois locales) se désocculta juste à côté de l'HSS Cerenkov, sans le moindre signe annonciateur. Il ne ressemblait à aucun modèle connu, et était peint entièrement en jaune brillant. Ce qui était assez inhabituel pour que tout l'équipage soit complètement perplexe. Ils savaient que leur commandant était un brin excentrique, et qu'ils devaient s'attendre à des choses étranges. Mais quand ces dites choses étranges débarquaient réellement sans prévenir, c'était quand même un choc.
- Second, vous avez le commandement.
- Amiral ?
- Je prends mon Syuk personnel. Ne vous inquiétez pas.
Ses officiers supérieurs tentèrent malgré tout de lui faire dire ce qu'il allait faire, qui il allait voir, ou même de prendre une escorte, mais ce fut peine perdu. Il monta dans son Syuk et rejoignit l'autre vaisseau tout seul en quelques minutes. Il le posa dans le hangar principal du vaisseau jaune, puis sortit souplement de son cockpit. Le capitaine du vaisseau jaune l'attendait juste à coté, seul. Aucun membre d'équipage n'était visible.
- Ça fait combien de temps qu'on ne s'est pas vu ?
- Mmmm... Longtemps.
- Salut Calim !
- Salut la goule !
Les deux ChouChouLandais quittèrent alors sans se presser le hangar du Leif Ericson pour aller dans un endroit tranquille où discuter. Ils s'installèrent dans ce qui ressemblait vaguement à un bureau et Ori sorti une bouteille de liqueur de Vulnéraire en cadeau, que Calimsha accepta avec empressement.
- Je pensais pas te revoir aux commandes d'un vaisseau stellaire. Surtout au sein de la Marine Impériale.
- Disons que c'est ma marotte actuelle. Peut-être que dans quelques années je changerai d'avis.
Les deux ChouChouLandais avaient vieillis, mais n'avaient certainement pas l'air d'avoir cinquante ans de plus. C'était un de milles et un paradoxes issus de leurs aventures passées. Normalement, quand on jouait les aventuriers, on finissait toujours par avoir de sales séquelles. Mais pas pour eux, et de toute évidence à force de se prendre tant de magie dans la figure, ils avaient largement multiplié leur espérance de vie, quand ils n'étaient pas carrément devenus immortels.
- Tu as des nouvelles des autres ?
- Un peu. J'étais le seul présent l'an dernier, pour les cérémonies de la fondation de l'Empire. On dirait que tout le monde s'est vraiment dispersé, cette fois-ci.
- Dire qu'on pensait que c'était impossible.
- Comme quoi... Déjà tous ceux d'entre nous qui ont fondé une famille... Pour beaucoup ça a été le déclic.
- M'enfin, maintenant tous les gosses ont grandis et sont partis déconner à droite et à gauche dans la galaxie. On s'est pas réunis pour autant.
- Le couple présidentiel est désormais à la tête d'une impressionnante dynastie, c'est vrai. C'est normal qu'ils aient plus le temps de rien faire...
- Je suppose que personne ne connaît leur vraie identité ?
- Ouais. Leurs amis, leurs voisins, personne ne sait qu'ils sont des Fondateurs, et encore moins qu'autrefois ils se nommaient ChouChouLandais. Je suis même pas sur que leur progéniture soit au courant.
- Comme pour tout le monde, quoi...
- C'est quand même étrange. On a été discrets après notre retour du multivers, OK, mais on s'est jamais vraiment cachés. Le ChouChouLand est un haut lieu touristique, des millions de personnes nous ont vu travailler à Alpha DC, mais personne n'a jamais réussi à comprendre qui on était. Je comprends pas.
- Un champ morphique de toute évidence. Les gens ont besoin de croire que les Fondateurs étaient des héros mythiques, qu'ils ont disparus mystérieusement, et surtout, qu'ils n'ont jamais porté un nom ridicule.
- Mais ce nom à la con, c'est notre identité ! La connerie lumineuse, quoi... Enfin, en même temps c'est pas plus mal comme ça. Tu imagines si on avait été considéré comme des héros vivants pendant toutes ces années ? On n'aurait jamais pu être tranquille.
- C'est pas faux...
Ils trinquèrent un coup, puis Ori continua sur sa lancée :
- Regarde, moi. Mon équipage ne sait même pas que je suis un Fondateur. Pour eux je suis juste un Amiral un peu étrange. Si j'avais été un Fondateur, j'aurais jamais pu commander ce vaisseau, on m'aurait foutu dans un bureau à faire de la paperasse, loin de tout danger.
Calismha regarda travers la grande baie vitrée de son bureau le magnifique Croiseur flambant neuf de la goule. C'est vrai qu'il avait la classe. Pas autant que son Leif Ericson, bien sûr, mais ça n'en restait pas moins un vrai vaisseau pour un vrai ChouChouLandais.
- Ouais, une star peut pas commander un Croiseur.
- Idem pour le Kettch et Bip-Bip. Ils sont en train de monter une petite flotte de mercenaires, du genre pour les opérations discrètes. J'imagine mal comment ils auraient pu faire ça en étant reconnus comme des Fondateurs.
- M'étonne pas d'eux...
Cependant, la bouteille était désormais vide, et ils commençaient tous les deux à avoir faim. Calimsha tapa un ordre sur une console, et quelques minutes plus tard, un sourd-muet vint apporter un repas complet sur un chariot de room service. Il disposa le tout sur la table, et les deux compères attaquèrent avec appétit. Ori constata que tous les plats étaient de première qualité, tant dans les ingrédients que dans la préparation, ce qui ne l'étonnait pas de la part de Calimsha.
- Et le Milvus, il devient quoi ?
- Ho, lui il a la belle vie. Aphraelle lui a donné un Univers Personnel, il doit être en train de se faire son harem perso à l'heure qu'il est.
- Un Univers Personnel ? C'est quoi ça ?
- Ben, tu vois la structure du Multivers, avec tous ses univers parallèles, et les limbes entre eux pour lier le tout ?
- Ouais, bien sûr, on a assez erré dedans...
- Bon, y a des univers de toutes tailles. Certains sont bien plus grands que le notre, d'autres tiendraient dans une tête d'épingle. L'important c'est que certains Univers sont assez petits pour être géré par un seul Dieu, ou même un seul Ange Majeur. De temps en temps, un Dieu créé un tel Univers et en donne les clés à un de ces Anges Majeurs comme récompense. Et c'est ce que cette Déesse a fait.
- Ok, si je comprends bien, dit Ori, il a un Univers à lui tout seul, dont il est plus ou moins le Dieu ? Un univers où il peut faire vraiment tout ce qu'il veut ?
- Exactement. Il est le Dieu de cet Univers, sans être un Dieu ailleurs. Mais ne pense pas qu'il est immense. Le sien ne fait guère plus de 200km de diamètre. Même pas une planète.
- Veinard quand même. Mais, j'y pense... Ça veut dire qu'il a revu Aphraelle alors ? Je croyais qu'elle avait pas donné signe de vie depuis ce fameux jour.
- Non, elle lui a juste balancé un SMS avec le chemin pour aller dans son Univers Personnel. D'après mes infos venant d'Eris, Aphraelle serait partie avec Mutsumi et elle en vacances quelque part... Je pense pas qu'on reverra ces trois là avant un bon moment.
- Quel bordel...
- Bhaa... C'est peut-être mieux comme ça. Je suis pas sûr que le Culte de la Déesse serait ce qu'il est si elle revenait foutre le boxon dans ses églises. La religion, c'est toujours plus chiant quand les Dieux viennent foutre leur nez dedans.
Calimsha fit un large sourire sarcastique en disant cette affirmation, preuve que son avis sur la Déesse et les Dieux en général n'avait pas changé. Ori sourit, et continua :
- Probable. Le compromis actuel est pas si mal. D'un côté, pour l'unification de la Galaxie, on la Religion Publique, une version light de son culte. Tout le monde fait des cérémonies sans que personne n'y croie vraiment. Et de l'autre, chacun a sa Religion Privée, qu'elle soit ancienne ou nouvelle, répandue ou limitée à un seul adepte, un mélange ou non. C'est pas plus mal, on dirait que le Père Milvus a réussi son coup, lui qui ne parlait que de tolérance et de syncrétisme.
- Ouais. En même temps, Plus personne ne prend vraiment la religion au sérieux de nos jours. Enfin, je veux dire, pas le même sérieux qu'il y a cinquante ans. Il suffit de regarder ce que les gens font, surtout parmi les nouvelles générations. Ils y croient à fond, s'investissent dedans, mais c'est plus du fanatisme dangereux.
- Ouais... Tiens, à ce propos, que devient Pavel ?
- Très bien... L'Église de la Couette Dissonante démarre très fort, il a de plus en plus d'adeptes. Et...
- Oui.
- Il est allé à la Source.
- Oh...
- Comme tu dis.
- Je suppose qu'il a toujours autant de traps autour de lui.
- Oui. Ils sont devenus un ordre à part entière dans l'Église, avec leur rôle, leurs devoirs, etc...
- Fascinant...
Après le repas, Calismha sortit quelques bouteilles d'un placard caché, dont une bouteille contenant un liquide à la couleur inimitable, reconnaissable en tous.
- Du Do Not Touch... Je croyais que la source en était tarie, après la dernière razzia du Troll dans les réserves.
- Comme tu vois, quelques bouteilles lui ont échappé.
- Profitons-en, alors. Buvons à sa santé !
- À la santé d'Hébus !
- Santé !
- Et lui ? J'ai pas de nouvelles.
- J'ai eu quelques infos via ma position dans la Spatiale. Un jour, il est tombé par hasard sur un monde qui s'est révélé être Troy. Du coup, il s'est installé et doit désormais à la tête de toute une petite famille de Trolls de Troy.
- Je croyais que Troy était un monde d'un Univers Imaginaire... Que Hébus était arrivé chez nous par accident, à cause des pouvoirs du ChouChou Suprême.
- Ouais. Moi aussi. Mais il a quand même trouvé une planète qui ressemble comme deux gouttes d'eau à la Troy de ses souvenirs.
- Je vois... Que ce soit la vraie ou une autre, ou quelque chose entre les deux n'a je suppose pas la moindre importance.
- Farpaitement !
- Par contre Farf a complètement disparu.
- Ah ?
- Ouais, il est devenu archéologue et il est parti avec une flotte d'exploration dans un coin non cartographié de la Galaxie. On a pas eu de nouvelles de l'expédition depuis cinq ans. Personne ne sait ce qu'ils sont devenus, s'ils vont revenir sans prévenir ou s'ils sont déjà tous morts.
- Je pense pas qu'il faille trop s'inquiéter pour lui. Mais il doit vivre des aventures intéressantes.
- C'est fort probable, le connaissant.
- Et T-Citron ?
- Disparu.
- Tsunami ?
- Disparu ?
- Soso ?
- Disparu...
- Ah ouais quand même. Une vraie épidémie...
- Et je pense que ça fait que commencer.
- Ouais. En même temps, c'est un peu inévitable, avec le temps qui passe.
- Par contre Mokona est devenu très célèbre.
- Ha ?
- Il est devenu le propriétaire de 80% des maid cafés de l'Empire. C'est un business très rentable.
- J'imagine. Il magouille toujours autant de trafics louches avec Phoenix-co ?
- Plus que jamais.
- On les changera pas...
Quelques heures plus tard, les assiettes vidées et une fois de nombreuses bouteilles d'alcools raffinés consomées, les deux anciens ChouChouLandais se levèrent et quittèrent l'étrange bureau de Calimsha. Ils firent un petit tour du vaisseau, enfin de certaines parties pas trop secrètes. Calismha y avait appliqué à peu près toutes les idées nouvelles et étranges qu'on pouvait imaginer pour améliorer un vaisseau spatial, et c'était un vrai miracle qu'il tienne en un seul morceau. Sans doute la conséquence de l'inclusion d'un brin ou deux de technomagie. Mais c'était sans conteste une petite merveille d'architecture navale.
Puis ce fut le moment des adieux : Pas émouvants du tout, bien sûr, ça aurait pas collé du tout à l'ambiance. Ils se retrouvèrent dans le hangar, au pied du Syuk de la goule, ce dernier prêt à partir.
- Dommage qu'on ait pas réussi à réunir plus de gens pour cette rencontre.
- Ouais. Deux, c'est quand même pas beaucoup pour une IRL.
- Difficile de faire moins, c'est sûr.
- On se reverra un jour, tu penses ?
- Qui sait... Une autre IRL, ça semble un poiln compromis. Mais rien n'est prévisible dans cet univers étrange.
- Ouais, et c'est tant mieux. On en profite bien plus comme ça.
- Exactement !
- Allez, sayonara !
- Adios !
Ori remonta dans son étrange Syuk et ils échangèrent un dernier signe d'adieu, puis il quitta le hangar. Il regagna rapidement son fier vaisseau, au grand soulagement de son équipage qui se demandait ce qui se passait. L'HSS Cerenkov et le Leif Ericson qui naviguaient jusqu'alors de concert, changèrent progressivement de trajectoires, s'éloignant l'un de l'autre avec majesté. Puis ils plongèrent rapidement dans l'hyperespace, chacun vers une destination bien différente, pour ne plus jamais se recroiser.
Pendant ce temps, dispersés dans toute la galaxie, les ChouChouLandais menaient désormais tous une vie bien tranquille (enfin presque). Ils avaient fini par tirer un trait sur le passé et laissaient fonctionner tout seul l'Empire et son étrange mélange de démocratie, de méritocratie et d'aristocratie semi-héréditaire. Ce genre de système n'avait qu'une chance sur un million de fonctionner, ce qui était probablement la raison de son incroyable succès actuel.
Car l'Empire balbutiant semblait bien parti pour durer des milliers d'années, et pour réussir l'impossible : l'unification de toute la Galaxie, de toutes ses planètes, de toutes ses races, de toutes ses cultures. Voire même plus... Et ce sans qu'ils interviennent constamment, comme ils avaient dû le faire sans répit pendant une bonne vingtaine d'années. Ils méritaient désormais bien leur nom de Fondateurs, même s'ils ne l'avait pas choisi : ils avaient cessé d'être des ChouChouLandais. Enfin ou bien déjà ? Nul ne savait la réponse à cette question.
En revanche, les Fondateurs savaient aussi qu'un jour, la Galaxie et l'Empire auraient à nouveau besoin d'eux, pour résoudre une crise majeur. Ils ne savaient pas si ce serait dans cinq cents ans, dans mille ans, ou dans deux mille ans, mais ils savaient que ce jour arriverait. Ils ne savaient pas si ce serait une guerre civile, une invasion, une facétie des Dieux ou une catastrophe naturelle, mais ils savaient que ça arriverait.
Par delà le temps, par delà la mort, par delà la vie, ils seraient alors là, de nouveau ChouChouLandais. Qu'ils le veuillent ou non, ils seraient là. Parce que le destin les avait à la fois maudits et bénis. Parce que s'il n'y avait plus de ChouChouLand, il y aurait toujours des ChouChouLandais. Toujours. La folie de la connerie lumineuse n'était pas chose à disparaître facilement.